Page:Perrin - Notice sur les travaux scientifiques de Jean Perrin, 1923.djvu/30

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d'émulsion dans une petite cuve fermée (haute par exemple de 1/10e de mm.) qui demeure immobile sur la platine d'un microscope. La connaissance précise de la répartition des grains à chaque instant s'obtient par des photographies instantanées sur lesquelles on pointe et dénombre à loisir ces grains.

On est alors en état de vérifier les prévisions précédentes :

1° On constate que, après la mise en place de l'émulsion, les grains, d’abord uniformément répartis, s'accumulent dans les couches inférieures[1], mais de plus en plus lentement, et qu'une répartition d'équilibre statistique de ces grains en mouvement est bientôt atteinte[2], chaque niveau gagnant à chaque instant autant de grains qu’il en perd.

2° La numération des grains sur clichés démontre avec rigueur que la même élévation, à partir de n'importe quel niveau, s'accompagne de la même raréfaction (ou, en d'autres termes, que la richesse en grains décroît exponentiellement avec la hauteur). Par exemple, dans l'eau, pour des sphérules de gomme-gutte ayant à peu près 3/4 de micron de diamètre, chaque élévation de 6 microns double la raréfaction. L'influence de la température a été particulièrement étudiée une colonne d'émulsion s'affaisse sur elle -même quand on la refroidit (l'agitation décroît et la pesanteur antagoniste reste la même) et reprend sa première expansion quand on la réchauffe : la loi de Gay-Lussac sur la dilatation des gaz a été ainsi vérifiée à un pour cent près, la température variant de - 9° à + 58° [3].

3° En changeant d'émulsion, on constate que l'élévation qui entraîne une raréfaction donnée varie, en grandeur et en signe, en raison inverse du poids efficace du grain (j'ai fait varier le poids dans le rapport de l à 50 et changé le signe du poids efficace en opérant dans des mélanges d'eau et de glycérine).

Bref, les émulsions diluées vérifient les lois des gaz parfaits. Ce sont des atmosphères pesantes en miniature, où la raréfaction est prodigieusement rapide, mais encore perceptible, alors que les molécules, devenues colossales, sont déjà visibles. Cette propriété remarquable a été prévue par des raisonnements si simples qu'elle constitue à coup sûr un argument particulièrement direct et convaincant en faveur de

  1. Dans les couches supérieures, si le liquide intergranulaire est plus dense que les grains.
  2. En un temps de l'ordre de une heure, quand le liquide intergranulaire est de l’eau, et la hauteur de la cuve de l'ordre du dixième de millimètre.
  3. Mesures faites par M. Bruhat (Diplômé d'études) dans mon laboratoire (1912).