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Mesures du mouvement brownien de rotation.

– La formule obtenue par Einstein indique une rotation moyenne d'environ 8° par centième de seconde, pour des sphères de 1m de diamètre, rotation bien rapide pour être perçue et qui à plus forte raison échappe à la mesure. Et, en effet, cette rotation n'avait fait l'objet d'aucune étude expérimentale, même quantitative[1].

J'ai tourné la difficulté en préparant de grandes sphérules de mastic. J'y suis arrivé en précipitant la résine de sa solution alcoolique, non plus comme d'habitude, par addition brusque d'un grand excès d'eau, mais en rendant très progressive la pénétration de l'eau précipitante. C'est ce qui se passe quand on fait arriver lentement de l'eau pure sous une solution alcoolique de résine. Une zone de passage s'établit, et les grains, qui se forment nécessairement dans cette zone, ont alors couramment un diamètre d'une douzaine de microns. Ce sont des sphères limpides, semblables à des billes de verre, et qu'on brise facilement en fragments irréguliers. Elles semblent fréquemment parfaites, et alors leur rotation n'est pas observable. Mais fréquemment aussi elles contiennent à leur intérieur de petites vacuoles, points de repère grâce auxquels on perçoit facilement le mouvement brownien de rotation.

Malheureusement le poids de ces gros grains les maintient sans cesse appliqués tout contre le fond, ce qui perturbe leur mouvement brownien. J'ai donc cherché, par dissolution de substances convenables, à donner au liquide intergranulaire la densité des grains. Une complication aussitôt manifestée consiste en ce que, à la dose nécessaire pour suspendre les grains entre deux eaux, presque toutes ces substances agglutinent les grains en grappes de raisin, montrant ainsi de la plus jolie manière le phénomène de la coagulation, peu facile à saisir sur les suspensions ordinaires (à grains ultramicroscopiques). Pour une seule substance, l'urée, cette coagulation n'a pas eu lieu.

Dans de l’eau à 27 pour 100 d'urée, j'ai donc pu suivre l'agitation des grains. J'ai de même, assez grossièrement, pu mesurer leur rotation. Pour cela, je pointais à intervalles de temps égaux les positions successives de certaines vacuoles, ce qui permet ensuite, à loisir, de retrouver approximativement l'orientation de la sphère à chacun de ces instants, et de calculer sa rotation d'un instant à l'autre. Les calculs, appliqués à environ 200 mesures d'angle faites sur des sphères ayant 13 m de

  1. Einstein ne supposait pas qu'on pût vérifier sa formule.