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Page:Perrot, Caillaud, Chambaut - Économies d’échelle et économies de gamme en production laitière.pdf/6

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1. Économie de gamme versus économie d’échelle en production laitière

1.1. Économies de gamme : de l’économie industrielle aux implications sociales, éthiques, morales… en agriculture ?

Si le concept d’économie d’échelle est très familier, celui des économies de gamme l’est beaucoup moins. Les économies d’échelle traduisent la baisse du coût moyen de pro­duction (unitaire) consécutive à une hausse de la production et renvoient à la question : est-ce que cela coûte moins cher de produire davantage de biens (avec davantage de fac­teurs de production) ?

Alors que les économies d’échelle sont souvent associées à des dynamiques de spé­cialisation d’une entreprise dans la production d’un bien particulier, des avantages écono­miques peuvent aussi être induits par la production par une même entreprise de plusieurs biens, qui peuvent être liés entre eux ou n’avoir aucune relation. Sur le plan des coûts, la combinaison de productions peut permettre une utilisation et une gestion conjointe des fac­teurs de production. Sur le plan de la production, la production du bien A peut donner lieu automatiquement à la production du bien B. Il y a économie de gamme (ou de portée ou d’envergure) quand une compagnie qui produit 2 biens (ou plus) peut atteindre un volume de production supérieur ou avoir des coûts de productions inférieurs par rapport à 2 entre­prises (ou plus) produisant chacune un seul bien (avec une même quantité de facteurs). En bref, des économies de gamme signifient qu’il est moins coûteux de produire plusieurs biens ensemble plutôt que séparément. Ces éléments sont caractéristiques du concept tel qu’il est manipulé en économie industrielle.

En agriculture, ce concept d’économies de gamme est utilisé par de rares auteurs mais avec des implications thématiques beaucoup plus larges. Dans une analyse critique du développement de l’agriculture depuis quelques décennies, qui s’est traduit par une transforma­tion de modes de production autonomes voire autarciques en modes de production hétéronomes, Dominique Vermersch (2004) utilise justement ce concept pour critiquer la dissociation des productions végétales et animales au sein des exploitations et ses conséquences environnementales, sociales, mais aussi morales et éthiques.

En analysant le double processus de concentration et de spécialisation des exploita­tions agricoles françaises entre 1970 et 1994, Pierre Dupraz et Dominique Vermersch (1997) faisaient déjà le constat de la faiblesse des économies de gamme (à l’origine de l’associa­tion des productions au sein d’une même entreprise) face à l’existence d’économies d’échelle et à la pérennisation de ces dernières par l’adoption de progrès techniques, ce qui consti­tue une incitation à l’agrandissement des exploitations. La supériorité de la productivité du travail dans les exploitations associant productions végétales et animales est apparue, d’après ces auteurs, à la fin des années 1980 suite à un processus de substitution du tra­vail par les autres facteurs particulièrement intense dans ces exploitations mixtes.

1 0 ■ Notes et études socio-économiques n° 37 - Janvier-Juin 2013