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Page:Pert - L Autel.djvu/51

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Il venait d’apercevoir, se frayant un passage jusqu’à la table des deux jeunes actrices, la maigre et familière silhouette courbée de Gaston Lombez. Le chapeau à haute-forme un peu en arrière, la pelisse ouverte et battante — une superbe pelisse toute neuve, doublée de vison, à l’immense col d’astrakan — le monocle à l’œil, le stick mince à la main. Il singeait avec orgueil les caricatures de snobs des dessinateurs à la mode. Derrière lui venait un homme corpulent qui se dandinait avec gaucherie, le ventre en avant, la figure imberbe, l’expression jeune et timide dans l’empâtement de la chair, un chapeau melon sur la tête, son pardessus boutonné sur sa rotondité, les mains ballantes. Enfin, Robert reconnut la personne menue, le visage délicat et fané du petit Paul Charvaud — alias, Guy de Vriane — qui piétinait impatiemment derrière le colosse dont, entre intimes, il s’intitulait le cornac.

Durant les présentations, la mimique menteuse, la scène convenue qui se jouait entre les deux femmes et les nouveaux arrivants, Robert se détourna, se refusant à suivre cette comédie qui l’irritait. Cependant la curiosité ne tarda pas à l’emporter, et ses yeux revinrent étudier avec avidité les attitudes des acteurs de cette pièce vécue, d’où sortiraient peut-être pour lui la richesse et la renommée.

Il ne regardait guère Lombez, qui parlait sans discontinuer, hâbleur inouï, raseur adroit, qui savait que souvent, le plus sûr moyen de convaincre est d’étourdir son adversaire ; ce qu’il suivait, c’était le jeu de Vriane, dont la gouaillerie jeune, fouettée ce jour-là par un espoir secret, s’ingéniait à faire briller tour à tour les deux femmes, la blonde et la brune, le lis mystérieux et la rose pompon au rire frais, aux lèvres tentantes, aux yeux émérillonnés.