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Quelques imparisyllabiques semblent être à part ; en réalité ils se déclinent sur pedre ou sur mur, mais en déplaçant l’accent. Ainsi

Singulier Sujet látro : li ledre, lerre, présbyter : li prestre,
Régime latrónem : le ladron, larron, presbýterum : le proveire,
Pluriel Sujet latrónes : li ladron, larron, presbýteri : li proveire,
Régime latrónes : les ladrons, larrons presbýteros : les proveires[1].

Encore la langue simplifie-t-elle bientôt ce système déjà si réduit : 1° en étendant dans les deux derniers tiers du XIIe siècle l’s de murs aux mots en e muet, et, quoique moins régulièrement, aux imparisyllabiques ; 2" en ajoutant cette même s à tous les féminins qui ne se terminaient pas par un e muet. Les adjectifs suivent exactement les mêmes variations, et ainsi s’établit dans sa généralité cette règle de l’s, qui s’étendit, à la fin du XIIe siècle, presque uniformément à la grande masse des noms ou des mots substantivés masculins, et à une bonne part des féminins, qu’ils appartinssent à une déclinaison latine quelconque, qu’ils fussent d’origine germanique, ou de formation nouvelle.

Il ne faudrait pas croire, bien entendu, que cette règle s’est imposée impérieusement et à tous ; notre orthographe elle-même, malgré tous les appuis qui la soutiennent et les organes qui la répandent, n’y parvient pas. Mais certains textes l’observent rigoureusement, telles les chartes de Joinville, où M. de Wailly a compté 13 violations seulement, tandis que les cas sont marqués 1423 fois comme ils le devaient être, et on peut dire que, quoique entré en décadence au XIIIe siècle, le système de déclinaison à deux cas se prolonge aussi longtemps que l’ancien français ; il en est la caractéristique essentielle[2].

Au reste ce n’est pas seulement comme caractéristique d’une phase de cette histoire qu’il mérite d’être signalé. Nous verrons quels services les cas rendaient à la syntaxe de la phrase. En outre ils apportaient à la langue une agréable variété de consonance. Outre que certains mots imparisyllabiques avaient des formes très différentes, nous l’avons vu, que les pronoms

  1. Soror se décline de même : suer, sereur, sereur, sereurs. C’est le seul nom féminin qui soit dans ce cas.
  2. Le béarnais ne connaît pas la déclinaison ; parmi les dialectes de langue d’oïl, l’anglo-normand est le premier où l’on rencontre fréquemment des accusatifs remplaçant des nominatifs.