Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/122

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encore d’exprimer que deux sentiments, assez simples pour être accessibles à la foule, assez puissants pour l’enthousiasmer : le sentiment religieux et la passion guerrière. Dans cette société farouche encore, l’amour n’existait pas, en tant que passion poétique, et la femme tenait bien peu de place dans les imaginations. Quant aux idées morales et philosophiques, elles dépassaient la portée de l’esprit populaire et les ressources de sa langue, encore rude et bien pauvre.

L’expression de ces deux sentiments, la religion, et la bravoure militaire, inspira les poèmes sur la vie des saints et les chansons de geste. L’un et l’autre genre naquirent ensemble, et se développèrent simultanément. Mais puisque le hasard seul, peut-être, a fait que nous possédons un texte de la Vie de saint Alexis antérieur d’une trentaine d’années à la plus ancienne rédaction connue de la Chanson de Roland, parlons d’abord des vies des saints.

Vies des saints. — La poésie narrative religieuse, dont nous allons traiter, est certainement moins originale, au moyen âge, que la poésie narrative profane (les chansons de geste, par exemple). Elle a pour auteurs, presque exclusivement, des prêtres, des clercs, des moines, animés d’intentions édifiantes, plutôt que littéraires. Elle est en grande partie la traduction, la paraphrase ou l’imitation d’une littérature latine antérieure ; de la Vulgate, ou des Évangiles apocryphes, des Actes des martyrs, ou de la Légende des Saints. Son originalité est ainsi réduite à l’invention et à la mise en œuvre des détails ajoutés au récit primitif ; et à l’emploi de la langue vulgaire substituée au latin. Ce serait assez, toutefois, pour que les vies des saints racontées en vers offrissent encore un vif intérêt littéraire, si les auteurs eussent été plus souvent de vrais poètes, des hommes de talent et d’imagination. On verra qu’il n’en fut ainsi que trop rarement et que l’inspiration alla toujours en déclinant, à mesure que la production devint plus abondante. Un très petit nombre d’œuvres ont vraiment une valeur poétique, qu’elles doivent surtout à la sincérité du sentiment religieux qui les remplit et à la simplicité vigoureuse de l’expression que revêt ce sentiment. Quant à l’intérêt historique de ces poèmes, il est très grand, parfois dans les plus médiocres. La religion au moyen âge était