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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/125

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La légende de Saint Alexis est syriaque d’origine, et fut rédigée d’abord à Édesse, d’après des faits récents qui peuvent fort bien être authentiques dans leurs traits essentiels. Plus tard elle passa d’Édesse à Constantinople, et de Constantinople à Rome où fut placée la mort du saint, quoiqu’il n’ait jamais vu cette ville. Les phases de cette migration curieuse sont aujourd’hui bien établis.

D’ailleurs elle n’intéresse pas notre sujet, parce que l’auteur du poème français n’a eu, en réalité, sous les yeux que la rédaction latine de la légende, et n’a rien connu ni même rien soupçonné au delà. Il nous suffit donc d’étudier son œuvre en elle-même et dans ses rapports avec la légende latine, source unique où il a pu puiser.

La légende latine se lit au Recueil des Bollandistes, tome IV du mois de juillet (saint Alexis est fêté le 17 juillet). Je la résume en quelques mots : Saint Alexis est le héros presque surhumain de la continence et de la pauvreté volontaire. Fils d’un très riche comte romain nommé Euphémien, marié à une fille de haute naissance, il s’est enfui le soir de ses noces du palais de son père et s’est allé à Édesse en Syrie où il vit plusieurs années parmi les mendiants. Plus tard, il revient méconnaissable, chez ses parents, et y est hébergé par charité ; il y demeure dix-sept ans en butte au mépris et aux injures de la valetaille et bénissant Dieu d’être méprisé. Il meurt enfin ; son nom, sa pénitence (d’autant plus héroïque qu’il n’avait nulle faute à expier), sa sainteté, son humilité sont reconnus ; son corps, après sa mort, est recueilli avec les plus grands honneurs : et son intercession est suivie d’éclatant miracle.

Telle était la légende latine où dut puiser l’auteur inconnu de notre poème : prêtre ou moine, sans doute. Avec une certaine vraisemblance, on a même essayé de le désigner plus précisément. Un moine de Fontenelle[1] raconte la guérison miraculeuse d’un chanoine de Vernon, nommé Tedbalt, affligé de cécité, guéri en 1053 par l’intercession de saint Vulfran[2]; il ajoute : « C’est ce Tedbalt de Vernon qui traduisit du texte latin les faits[3]

  1. En Poitou, diocèse de Luçon.
  2. Saint Vulfran, évêque de Sens, vers 682, patron d’Abbeville, mort le 20 mars 721. — Saint Wandrille, fondateur et premier abbé de Fontenelle, mort le 22 juillet 667.
  3. Remarquer ce mot de gestes commun aux saints et aux preux.