Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/128

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un désespoir que le poète a su peindre avec une force émouvante. Ils envoient des serviteurs par tous pays chercher le fugitif. Deux d’entre eux viennent à Édesse et donnent l’aumône à leur jeune maître, sans l’avoir reconnu. Ainsi nourri par ses serviteurs, Alexis bénit Dieu de cette humiliation.

Quand toutes les recherches sont restées vaines, les malheureux parents s’abandonnent au désespoir. La mère fait détruire les ornements de la chambre nuptiale ; « elle l’a saccagée comme eût pu faire une armée ennemie ; elle y fait pendre des sacs et des haillons déchirés ». L’épouse abandonnée s’attache aux deux vieillards, et veut vivre auprès d’eux, fidèle « comme la tourterelle ».

Cependant le bruit de la sainteté d’Alexis s’est répandu à Édesse, son humilité s’en épouvante ; il reprend de nouveau la mer ; une tempête le jette en Italie. Il rentre à Rome tremblant d’être reconnu. Mais il rencontre son père ; et son père ne le reconnaît pas. Enhardi, Alexis l’implore, et au nom de son fils perdu il lui demande l’hospitalité. Sans lui faire aucune question, avec cette confiance magnanime de l’hospitalité ancienne (que nos mœurs ne connaissent plus), Euphémien fait entrer chez lui ce mendiant, et le loge sous un escalier de son palais. Son père, sa mère, sa femme l’ont vu sans le reconnaître et sans l’interroger. Lui-même il les a vus cent fois pleurer douloureusement son absence. Mais Alexis, tout en Dieu, reste inflexible à ce spectacle et ne se découvre pas. Dix-sept années s’écoulent ; le mendiant, nourri des reliefs de la table paternelle, a supporté dix-sept ans les injures et le mépris des esclaves de son père qui s’amusent à jeter sur lui les eaux de vaisselle.

Il a tout supporté patiemment ; « son lit seul a connu ses douleurs. » Mais la fin de son pèlerinage approche. Il se sent malade à mourir : il demande à un serviteur un parchemin, de l’encre et une plume ; et il écrit toute son histoire ; mais il garde en sa main ce papier pour n’être pas trop tôt décelé. Cependant une voix miraculeuse a retenti dans Rome par trois fois, disant : « Cherchez l’homme de Dieu. » Le pape Innocent, les empereurs Arcadius et Honorius, le peuple entier s’émeut, implorant Dieu pour qu’il les conduise. La voix se fait entendre de nouveau : « Cherchez l’homme de Dieu dans la maison