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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/18

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PRÉFACE

cience, avait consisté à la comprendre mieux et à saisir plus profondément ce qui en faisait à la fois le trait distinctif et la fécondité : l’observation directe de la nature et de la vie, et la beauté de la forme, le style ; il n’y avait entre eux et leurs prédécesseurs qu’une différence de degré dans la pénétration et l’assimilation d’un monde qui n’avait jamais disparu de l’horizon intellectuel. La Grèce, au contraire, apportait une révélation toute nouvelle : le moyen âge n’en avait rien connu, et devant cette splendeur vierge enchantant les yeux éblouis, tout ce qui l’avait ignorée semblait ténébreux, difforme et vulgaire. Il faut tenir compte aussi de cette circonstance que la Réforme, à laquelle beaucoup des humanistes qui coopérèrent à la Renaissance étaient plus ou moins ouvertement attachés, créait une séparation entre le passé catholique de la France et ce qu’on rêvait de son avenir : le moyen âge et même les temps immédiatement précédents apparaissaient comme imbus de superstitions grossières aussi bien que comme ignorants et barbares. Enfin la Renaissance fut en France l’œuvre de purs érudits ; elle sortit des collèges et des imprimeries, tandis qu’en Italie elle avait été l’une des formes de l’action d’hommes profondément mêlés, comme Dante et Pétrarque, à la vie politique de leur temps et cherchant dans la poésie un moyen d’exprimer les idées et les passions qui agitaient les hommes autour d’eux, ce qui les mettait en communication directe et réciproque avec le milieu ambiant. Nos hellénistes français, au contraire, ne cultivaient l’art que pour l’art lui-même et ne s’adressaient qu’à un cercle restreint dont ils composaient à eux seuls la plus grande partie. Il ne pouvait sortir de là qu’une littérature de cénacle, qui de prime abord se mettait à l’écart du peuple et en opposition avec lui, et si elle aboutit, dans son plus beau développement, au xviie siècle, à une littérature vraiment nationale, ce fut parce