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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/20

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PRÉFACE

surannés. La poésie allégorique elle-même avait à peu près cessé le fastidieux radotage dont, pendant deux siècles, à la suite du Roman de la Rose, elle avait enveloppé la pauvreté de sa psychologie, de sa morale et de ses satires. L’éloquence, en prose ou en vers, se guindait, pour grandir sa chétive stature, sur des échasses naïvement apparentes, et s’enflait la bouche, pour se donner un air solennel, avec des périodes ronflantes et de longs mots « despumés à la verbocination latiale ». L’histoire, il est vrai, avec Froissart, Chastellain et Commines, avait produit des œuvres vivantes et souvent puissantes, qui étaient imprimées en partie et qu’on lisait toujours, et le roman moderne était apparu au xve siècle, ainsi que le conte en prose, sous la plume d’Antoine de la Sale ; mais ces écrits en prose semblaient étrangers à l’art proprement dit, et ne pouvaient fournir de base à une tradition vraiment littéraire. La poésie lyrique était réduite aux monotones ballades, aux rondeaux étriqués, aux lourds chants royaux ; elle était toute de facture et, ne sortant pas du cœur, ne parlait pas au cœur. Le germe du drame religieux, capable d’une telle fécondité, et qui avait produit aux xiie et xiiie siècles des jets si originaux, avait été noyé dans la prolixité, la vulgarité et la platitude des interminables mystères. Le théâtre comique avait seul de la vitalité et devait en fait prolonger jusqu’à Molière et plus loin encore quelque chose de son inspiration et de ses procédés : il avait produit un chef-d’œuvre, Patelin, que la nouvelle école fut longtemps bien loin d’égaler avec ses faibles imitations de la comédie antique, italienne ou espagnole ; mais, abandonné en général à la verve éphémère des improvisateurs et des sociétés joyeuses, il ne comptait pas dans la littérature. Tout le reste se présentait sous l’aspect lamentable d’oripeaux à la fois fastueux et pauvres, de fanfreluches prétentieuses, de vieux