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Et tout d’abord, voici, devant nous, les manuscrits de nos vieux poèmes.

Il y en a de toutes dates, depuis cette année 1170 qui est la date présumée du manuscrit d’Oxford où le Roland nous a été conservé.

Si l’on admet que l’épopée française avait déjà conquis son droit au soleil dès le ixe ou le xe siècle, il a certainement circulé un certain nombre de manuscrits antérieurs à 1160 ; mais ils se sont égarés en chemin et ne nous sont pas arrivés. Peut-être, quelque jour en retrouvera-t-on un ou deux, et ce sera ce jour-là une grande fête pour tous ceux qui aiment notre poésie nationale. Il faut, en attendant, nous résigner aux textes que nous avons. Si précieux d’ailleurs que soient encore ces manuscrits sauvés du naufrage, il ne faudrait pas les considérer « comme les originaux ou comme les contemporains des originaux » : ils leur sont postérieurs d’un siècle ou deux et ne les reproduisent pas toujours avec une véritable fidélité[1].

Il y a longtemps déjà qu’on a divisé en plusieurs groupes faciles à reconnaître les manuscrits où nous pouvons lire le texte de nos chansons de geste. Les plus anciens, qui sont presque toujours les meilleurs, sont de petits volumes qui ne dépassent guère la taille de nos in-12. Tel est le manuscrit du Roland d’Oxford, tel est celui de Raoul de Cambrai, et tel aussi, sans parler des autres, l’un des meilleurs d’Aspremont. Il semble hors de doute que ces petits livres, de format portatif, commodes et légers, étaient spécialement à l’usage des jongleurs qui ne s’en séparaient guère et y rafraîchissaient leur mémoire. Toute différente est la physionomie des autres manuscrits, qui sont assimilables à nos in-quarto et où le texte est distribué en deux ou trois colonnes. Ce sont là, à n’en pas douter, des manuscrits de bibliothèque, et plus tard de collection ; le plus souvent, des livres de luxe. Il y en a un certain nombre qui méritent une mention particulière : ce sont ceux qui renferment uniquement des poèmes appartenant à une seule et même geste ; ce sont les manuscrits qu’on a si bien nommés « cycliques ». C’est surtout dans le cycle de Guillaume et dans celui des Lorrains qu’on peut signaler des

  1. G. Paris, la Littérature française au moyen âge, p. 39.