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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/348

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L’ÉPOPÉE ANTIQUE

Dans la seconde moitié du xve siècle, notre Roman était encore populaire, puisque Jacques Millet en tirait un mystère portant ce titre : La destruction de Troie la Grant mise par personnages et divisée en trois journées, publié en 1484 et plusieurs fois réimprimé depuis. L’œuvre comprend près de 28 000 vers, la plupart de 8 syllabes, avec quelques tirades de 10 et 15 syllabes et des parties lyriques de 5, 6 et 7 syllabes. Elle suit le poème assez régulièrement, depuis l’arrivée des Grecs à Ténédos jusqu’à leur départ après la prise de la ville, multipliant et développant les discours, ou les transformant en dialogues, et donnant de nombreuses indications scéniques pour remplacer, autant que possible, les parties narratives, qu’il préfère mettre en action, selon la poétique des mystères. On ne saurait l’en blâmer, mais ce qu’il faut bien constater, c’est qu’à ce réalisme de la mise en scène correspond souvent une platitude et une vulgarité de langage mêlées d’une préciosité un peu ridicule, et que « ce qui, chez Benoit était simple, et naïf devient grossier et grotesque[1] », tant il était difficile aux hommes de ce temps je ne dirai pas de se hausser à l’intelligence de l’antiquité, mais d’atteindre au naturel et à l’aimable simplicité du xiie siècle.

Les compilateurs d’Histoires troyennes ou romaines[2] de la première moitié du xve siècle ont naturellement été prendre leurs renseignements non dans Homère, qu’ils ignoraient, mais dans le Roman de Troie en prose, qu’ils ont préféré à la traduction de Darès, moins développée : c’est le cas pour Jean Mansel avec sa Fleur des Histoires ; pour Jean de Courcy, qui a écrit, non sans talent, sa Bouquechardière de 1416 à 1422, et pour l’auteur anonyme du Recueil des Histoires romaines, imprimé dès 1512, qui cependant a su laisser de côté l’Eneas pour s’adresser directement à Virgile, quand il a voulu raconter l’histoire d’Énée. La plupart ont naturellement connu aussi Guido, mais l’importance des emprunts qu’ils lui ont faits n’a pas encore été net-


    nelle de Lydgate, l’auteur du Siège de Thèbes, qui composa entre 1412 et 1421 (d’après Guido, mais en empruntant quelques détails descriptifs à Benoit) son Sege of Troye ou Troye Boke. poème envers de 8 syllabes à rimes plates, où se montre un heureux mélange d’érudition et de fantaisie.

  1. Joly, loc. laud., I, 439.
  2. La croyance à l’origine troyenne des Romains, déjà universellement répandue au premier siècle avant Jésus-Christ, les obligeait à remonter à la guerre de Troie et les poussait même à raconter celle de Thèbes.