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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/362

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L’ÉPOPÉE ANTIQUE

nous possédions d’un auteur de l’antiquité, le Végèce de Jehan de Meun étant postérieur d’environ un demi siècle[1].

L’auteur emploie comme sources d’abord Lucain et, isolément, les Commentaires de César sur la guerre civile, puis, au moment où Lucain lui fait défaut, les continuateurs des Commentaires, les auteurs inconnus ou contestés du De bello Alexandrino, du De bello Africano et du De bello Hispaniensi[2]. Il est difficile d’affirmer s’il a emprunté à des sources particulières, ou tiré de son imagination, certaines descriptions de bataille : je pencherais pour cette dernière opinion, parce qu’il s’agit surtout d’embuscades, tactique familière, comme on sait, au moyen âge et dont le Roman de Thèbes, en particulier (v. ci-dessus, I, I), nous offre plusieurs exemples. Il faut sans doute lui faire honneur également des détails, bien dans le goût du moyen âge (cf. Troie et l’Eneas), sur les amours de César et de Cléopâtre, et de la longue théorie sur l’amour courtois qu’il intercale dans cet épisode, avec cette réserve que, dans un cas comme dans l’autre, les modèles étaient loin de lui manquer[3].

Jehan commence son épisode par une peinture enthousiaste de la beauté de Cléopâtre, « ki tant estoit biele c’onques autre dame ne fu plus, se ne fu Helaine ou Yseus de Cornuaille, et nan pourquant elle puet bien iestre ajoustee avoec ces deus de grant biauté ». Ce portrait, on l’a déjà remarqué, semble imité de celui d’Iseut dans le Tristan[4]. César, dès qu’il aperçoit la jeune reine, en est violemment épris, au point que, la nuit suivante, il ne peut trouver le sommeil ; et l’auteur insiste à plusieurs reprises sur cette toute-puissance de l’amour, qui « a si bien esploitié ke

  1. Un siècle environ plus tard, en 1343, une partie de la Pharsale a été imitée en laisses monorimes et en dialecte franco-italien par Nicolas de Vérone.
  2. Voir Settegast, dans l’introduction à son excellente édition du livre de Jehan de Thuin, Li histore de Julius Cesar, p. xxxiii.
  3. Voir notre première partie. Les troubadours d’un côté, les romans de Troie, d’Eneas, et de la Table ronde de l’autre, en particulier les romans de Chrétien, ne lui laissaient guère rien à inventer sous ce rapport.
  4. Voir G. Paris, Romania, XII, 381. — M. P. Meyer, dans sa savante étude sur les Faits des Romains (voir ci-dessous, p. 228), trouve ce portrait supérieur à celui de l’auteur anonyme, qu’il cite en entier : « Sa description, dit-il, est mieux liée ; les différents traits qu’il a imaginés forment un meilleur ensemble ; il sait opposer « la brunour » des sourcils à la blancheur du front ; il s’élève au-dessus de l’appréciation purement matérielle où se renferme son contemporain, lorsqu’il dit que « s’uns hom ki malades fust d’une grant maladie peüst tant faire que baisier la peüst et sentir le grant douçour ki de son cors issoit, il en revenist tous en santé. »