Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/408

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

apprit l’histoire du philtre après la mort des deux amants. Il regretta de ne pas l’avoir connue plus tôt, car « il aurait laissé à Tristan et à Iseut ses royaumes à toujours ». Il fit placer un buisson de roses sur la tombe de sa femme et un cep de vigne sur celle de Tristan. Les deux plantes crurent ensemble, et elles se rejoignirent et s’entrelacèrent au point qu’on ne put jamais les séparer l’une de l’autre.

On a relevé dans le roman de Béroul certaines contradictions, certains « recommencements », qui sembleraient indiquer qu’il a réuni des épisodes primitivement distincts sans se préoccuper beaucoup de les fondre. On a aussi cru reconnaître une main moins habile que la sienne dans la seconde partie du fragment conservé ; la dernière scène est cependant d’un beau caractère. Ce sont là d’ailleurs des hypothèses. On n’a pas plus de certitude sur le vrai rapport entre plusieurs épisodes du roman et certaines légendes antiques, telles que celles de Thésée et du roi Midas. Sommes-nous en présence d’une imitation directe ou indirecte, y a-t-il simple coïncidence, ou les auteurs ont-ils puisé dans un fonds commun de vieilles traditions ? La question est d’importance secondaire. La mise en œuvre a ici un intérêt suffisant pour rejeter au second plan la recherche des sources.


II. — Le « Tristan » de Thomas
et les romans en prose.


Les deux Iseut. — Les fragments qui nous ont été conservés du roman de Thomas se rapportent à la seconde partie de l’histoire de Tristan. Il a été de nouveau surpris et il a dû s’exiler en Bretagne pour sauver la reine. Il se rend encore près d’elle, à diverses reprises, sous des déguisements variés ; mais, de retour en Bretagne, il se tourmente et s’imagine qu’Iseut l’oublie près du roi Marc. Puisqu’elle vit avec son mari, pourquoi n’aurait-il pas de son côté une femme, et n’échapperait-il pas ainsi à son tourment ? Il demande et obtient la main de la fille du roi de Bretagne, qui s’appelle aussi Iseut, Iseut aux blanches mains.

Si ne fût Iseut appelée,
Jamais Tristan ne l’eût aimée.