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sentimental[1], les thèmes anciens ; mais cette tentative, assez mal venue, paraît être restée sans effet.

Chansons à personnages : chansons de mal mariée. — Dans les chansons d’histoire, le poète est complètement absent de son œuvre : s’il y apparaît (encore le fait est-il exceptionnel) c’est, comme dans les chansons de geste, par une rapide apostrophe destinée à raviver l’attention des auditeurs (II). Au contraire, le trait commun des divers genres que nous allons étudier est que l’auteur y occupe une place, s’y donne tantôt comme témoin, tantôt comme acteur (et souvent protagoniste) du petit drame qu’il déroule devant nous. Cependant, comme nous le verrons, ce trait n’a rien d’essentiel. Un autre, qui nous paraît au contraire fort important, consiste dans le tour enjoué et badin que toutes ces œuvres affectent et qui les distingue nettement des chansons d’histoire : dans celles-ci on sent que le poète est subjugué ou du moins ému par son sujet, qu’il est le premier à s’y intéresser ; dans les chansons à personnages au contraire, il semble s’en amuser, y chercher uniquement quelque variation brillante ou imprévue.

Tout d’abord les personnages, comme les sentiments exprimés, nous transportent à mille lieues de la réalité : « le principal motif de ces chansons est le mariage, uniquement considéré du point de vue de la femme, et comme un esclavage odieux dans lequel le mari est un tyran grotesque, appelé le vilain, le jaloux, qui rend sa femme malheureuse parce qu’il n’est pas assez jeune ou assez aimable, qui l’injurie, la menace de l’enfermer, de la mal vêtir, mais qui n’en est que plus sûr du sort qui l’attend[2] ». La forme primitive du genre est un monologue de femme se plaignant de sa condition ; conservée dans quelques spécimens très rares, elle a été diversifiée par différents artifices, dont les deux plus fréquents consistent à transformer le monologue en un dialogue (entre la femme et le mari, entre la femme et son ami, etc.) et à représenter le poète lui-même comme assistant à l’action ou y intervenant (souvent en qualité d’ami).

  1. Il nous en reste cinq ou plus probablement six, car la huitième des pièces anonymes publiées dans le recueil de Bartsch doit être de lui (voir mes Origines de la poésie lyrique, p. 217, note).
  2. G. Paris, Origines de la poésie lyrique en France, p. 9.