Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/51

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Mais cette hypothèse, même si elle était vérifiée, serait insuffisante pour expliquer les faits. Ce ne sont pas des langues voisines, fût-ce l’osque et l’ombrien, que les langues romanes continuent, c’est une seule langue. Et la science actuelle, nous l’avons vu, exige trop de précision pour que cette solution par à peu près lui suffise.

En outre, où prend-on que le gaulois, quoique parent du latin, ait eu avec lui ces rapports de presque identité ? Est-ce dans les témoignages des anciens ? Mais il n’y en a aucun qui constate rien de semblable ; tout au contraire il est toujours question du gaulois comme d’une langue barbare.

Au reste les véritables celtisants répondent que si les parlers celtiques appartiennent à la même famille que ceux de l’ancienne Italie, et forment une branche voisine d’un tronc commun[1], néanmoins aux environs de notre ère, ils différaient déjà profondément du groupes des langues italiques. Le celtique de Gaule était plus voisin du latin que du grec[2], mais il était loin de se confondre avec lui, ou même d’en constituer une variété. Nous le savons indirectement d’abord par les textes écrits dans les dialectes celtiques de Grande Bretagne parvenus jusqu’à nous. Plusieurs de ces textes sont très anciens. Or, même aux époques les plus hautes, au XIe siècle déjà, le vocabulaire irlandais (si on en retranche les mots qui viennent du roman), la grammaire, la phonétique diffèrent considérablement du vocabulaire, de la grammaire et de la phonétique française. Et d’où viendrait ceci à une époque où les parlers romans de Gaule se confondaient presque encore, si tous ces idiomes coulaient à la fois de la même source ? Comment expliquer ici cette

  1. Les langues celtiques se divisent en trois branches : 1o le gaulois et ses dialectes, dont il ne nous reste que quelques inscriptions laconiques ; 2o le breton, qui se divise en bas-breton (Bretagne française), gallois (pays de Galles) et cornique (Cornouailles), ce dernier éteint depuis environ un siècle ; 3o Le gaëlique, qui comprend l’irlandais, le gaëlique proprement dit (Écosse) et le dialecte de l’île de Man. Voir Zeuss, Grammatica celtica, Berlin, 1871, et l’article de Windisch, Keltische Sprachen, dans l’Encyclopädie d’Ersch et Gruber, section II, XXXV. Cf. Id., dans Gröber, Grundriss der romanischen Philologie, I, 283-312.
  2. Il a un génitif singulier en i (ballos, balli) qui rappelle le latin domini ; il décline rix, rigos, rigi, presque tout à fait comme rex, regis, regi. Ses pronoms personnels semblent avoir été *mè, *tu, à peu près comme en latin. On peut reconstituer presque sûrement une forme passive sepantar, très voisine de sequuntur. Les prépositions in, di, ex, con, exter, inter, vrit reproduisent le latin in, de, ex, cum, extra, inter, versus.