Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/539

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rentes de rendre l’hypothèse dans le passé, le présent ou le futur.

La liberté de choisir en pareil cas ne s’est restreinte que lentement, nous le verrons. Alors que la grammaire moderne nous impose un tour unique, au point que sous la pression de ses exigences les esprits s’accoutument peu à peu à l’idée qu’il n’y a pas deux manières de dire, et qu’on ne trouve pas deux tours non plus que deux mots équivalents, l’ancien français permet à l’écrivain d’opter à son gré entre les diverses manières de construire sa phrase. La multiplicité des constructions dont nous venons de parler le montre déjà. En voici cependant un autre exemple.

Aujourd’hui les règles d’accord sont devenues strictes et obligatoires, au point que qui manque à les appliquer semble ignorer les principes fondamentaux de la grammaire ; la vieille syntaxe au contraire est si large sur ce point qu’elle autorise de nombreuses contradictions. D’abord le français moderne oblige toujours à considérer, et cela souvent au moyen de critères arbitraires, quel rôle un mot joue dans une phrase, à distinguer par exemple si dans les hommes même, les hommes tout entiers, les enfants nouveau-nés, les mots même, tout, nouveau sont des adjectifs ou des adverbes ; c’est sur ces définitions que se règle l’accord. En vieux français on peut toujours accorder un mot si sa nature le comporte, sans regarder à la fonction qu’il remplit temporairement[1].

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    que-parfait de l’indicalif dans la conditionnelle, et un futur de l’indicatif dans la principale : Se aviemes mengé, mius maintenrons ussés (Fierabr., 3389). littt : Si nous avions mangé, nous nous défendrons beaucoup mieux.

    Inversement, après une conditionnelle à l’indicatif présent, viendra une principale au conditionnel : S’ensi le crois com j’ou l’ai devisé… Jou te lairoie aler a saveté (Alise. 1194), etc. (Sur toutes ces constructions cf. Lenander, L’emploi des temps et des modes dans les phrases hypothétiques commencées par se en ancien français, Lund, 1880, Klapperich, Historische Entwickelung der syntaktischen Verhültnisse der Bedingung im. Altfr. (Frz. Stud. III, 233.) Nous disons encore : Si la chose vous plaît je vous la donnerais pour cinq francs. Mais ce n’est plus le tour ancien ; si n’y est pas conditionnel, on ne peut pas le traduire par à condition que.

  1. Ainsi tout est adjectif, il peut toujours s’accorder :

    Set anz tuz pleins ad ested en Espaigne (Ch. de Rol. 2).


    On remarquera que le français moderne n’a pas tout perdu à ces distinctions. Aujourd’hui dix chevaliers tout armés veut dire autre chose que dix chevaliers tous armés. C’est une nuance que le vieux français ne pouvait pas marquer avec cette précision.