Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 3, 1897.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
RABELAIS

mier, dans le Discours de la Court présenté au Roy par M. Claude Chappuys, publié en 1543, une liste de maistres des requestes où figure :


… Rabelais à nul qu’à soy semblable
Par son savoir partout recommandable.


Le précieux appui de Langey devait bientôt lui manquer : il fait allusion en plusieurs endroits de son roman à la mort de son protecteur, qui l’avait vivement frappé. Pantagruel, parlant du don que possèdent les mourants de prédire l’avenir, dit[1] : « Seulement vous veulx ramentevoir le docte et preux chevalier Guillaume du Bellay seigneur jadis de Langey, lequel on mont de Tarare, mourut le 10 de Janvier… de nostre supputation l’an 1043. Les troys et quatre heures avant son décès il employa en parolles vigoureuses, en sens tranquil et serein nous praedisant ce que depuys part avons veu, part attendons advenir. » Ailleurs Eudemon rappelant les « prodiges tant divers et horrifîcques » qui signalèrent cette mort, cite « Rabelays » parmi les « amis, domesticques, et serviteurs du deffunct[2] ». Guillaume de Langey avait songé à Rabelais dans son testament, qui renfermait un article ainsi conçu : « Au sieur de Rabelais et à messire Gabriel Taphenon médecins, veult et ordonne ledit sieur testateur qu’il leur soit donné oultre leurs sallaires et vaccations c’est assavoir audict Rabelais cinquante livres tournois par an jusques à ce que ses héritiers l’ayent pourveu ou fait pourveoir en l’église jusques à trois cents livres tournois par an ; audit Taphenon, cinquante eseuz sol, une foys payés[3] ».

Le 19 septembre 1543, François Ier accorde au tiers livre et aux deux précédents un privilège dans lequel l’auteur est traité d’une façon très flatteuse ; néanmoins, privé de son protecteur immédiat, il se sent pris d’appréhensions fort légitimes ; les libres penseurs étaient chaque jour poursuivis avec plus de rigueur. Le 3 août 1546, Dolet est torturé, étranglé et brûlé à la place Maubert : Rabelais, qui faisait profession de soutenir ses doctrines jusqu’au feu exclusivement, juge indispensable de fuir

  1. Tiers livre, chap. XXI.
  2. Quart livre, chap. XXVII.
  3. Heulhard, p. 167.