Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1re série, tome 2.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
HISTOIRE

à tort il les avoit brodées de ses armes, et qu’elles lui avoient cousté huit livres parisiz. Et je luy dis, qu’il les eust mieux emploiez, de les avoir donné pour Dieu, et avoir fait ses atours de bon sendal[1] renforcé, batu à ses armes, comme le Roy son père faisoit.

Le bon Roy m’appella une foiz, et me dist qu’il vouloit parler à moy, pour le subtil sens qu’il disoit congnoistre en moy. Et en presence de plusieurs me dist : « J’ay appellé ces freres[2] qui cy sont, et vous fois une question et demande de chose qui touche Dieu. La demande fut telle : Senneschal, dist-il, quelle chose est-ce que Dieu ? Et je lui respons : Sire, c’est si souveraine et bonne chose, que meilleure ne peut estre. Vraiement, fit-il, c’est moult bien respondu ; car cette vostre responce est escripte en ce livret que je tiens en ma main. Autre demande vous foys-je : savoir lequel vous aimeriez mieulx, estre mezeau et ladre[3], ou avoir commis et commettre un pechié mortel. Et moy, qui onques ne luy voulu mentir, luy respondi que j’aimeroie mieulx avoir fait trante pechez mortelz que estre mezeau. Et quand les freres furent departis de là, il me rappelle tout seulet, et me fist seoir à ses piedz, et me dist : Comment avez-vous ozé dire ce que avez dit ? Et je luy respons, que encore je le disoye. Et il me va dire : Ha ! foul musart[4], musart, vous y estes deceu ; car vous sçavez que nulle

  1. Sendal : taffetas.
  2. Ces freres : ces moines.
  3. Mezeau et ladre : ces deux mots sont synonymes : lépreux, corrompu, gâté. La lèpre étoit alors très-commune, surtout dans la Terre sainte.
  4. Musart : étourdi, nonchalant, fainéant.