Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1re série, tome 2.djvu/209

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preste ? sommes nous à point ? » Et ilz dirent que oy vraiement. Et quant les prebstres et clercs furent entrez, il les fist tous monter ou chasteau de la nef, et leur fist chanter ou nom de Dieu qui nous voulsist bien tous conduire. Et tous à haulte voix commencerent à chanter ce bel igne, Veni creator spiritus, tout de bout en bout. Et en chantant, les mariniers firent voille de par Dieu. Et incontinant le vent s’entonne en la voille, et tantost nous fist perdre la terre de veuë, si que nous ne vismes plus que ciel et mer, et chascun jour nous esloignasmes du lieu dont nous estions partiz. Et par ce veulx-je bien dire que icelui est bien fol, qui sceut avoir aucune chose de l’autrui, et quelque peché mortel en son ame, et se boute en tel dangier ; car si on s’endort au soir, l’on ne sceit si on se trouvera au matin au sous de la mer.

Et vous diray la premiere chose merveilleuse qui nous arriva en mer : ce fut une grant montaigne toute ronde, que nous trouvasmes devant Barbarie entour l’eure de vespres. Et quant nous l’eusmes passée nous tirasmes oultre toute cette nuyt. Et quant vint au matin, nous cuidions bien avoir fait cinquante lieuës et plus ; mais nous nous trouvasmes encor devant celle grant montaigne. Qui fut esbahy ce fut nous, et tantoust nageasmes comme devant tout celui jour, et la nuytée ensuivant ; mais ce fut tout ung : car nous nous trouvasmes encore là. Adonc fusmes tous esbahiz plus que devant, et esperions[1] estre tous en peril de mort ; car les mariniers disoient que tantoust les Sarrazins de Barbarie nous viendroient courir sus. Lors y eut ung tres-bon prodomme d’Église, que on ap-

  1. Esperions : craignions.