Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1re série, tome 2.djvu/239

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chateil que les gens de monseigneur de Corcenay gardoient, et ferit en la rive du fleuve, qui estoit là devant, et s’en venoit droit à eulx, tout ardant. Et tantoust veez-cy venir courant vers moy un chevalier de celle compaignie, qui s’en venoit criant : « Aidez nous, Sire, ou nous sommes tous ars ; car veez-cy comme une grant haie[1] de feu gregois que les Sarrazins nous ont traict[2], qui vient droit à nostre chastel. » Tantoust courismes là, dont besoing leur fut ; car, ainsi que disoit le chevalier, ainsi estoit-il. Et estaignismes le feu à grant ahan[3] et malaise ; car de l’autre part les Sarrazins nous tiroient à travers le fleuve trect et pilotz[4], dont estions tous plains.

Le conte d’Anjou frere du Roy guettoit de jour les chaz chateilz, et tiroit en l’ost des Sarrazins avecques arbelestes. Or avoit commandé le Roy que, aprés que le conte d’Anjou son frere y avoit fait le guet le jour, nous autres de ma compaignie le faisions la nuyt. Dont à tres-grant paine estion, et à tres-grant soulcy ; car les Turcs avoient ja brisé et froissé nos tandeis[5] et gardes. Advint que ces traistres Turcs amenerent devant noz gardes leur perriere de jour, et alors faisoit la guette ledit conte d’Anjou. Et avoient tous accouplez leurs engins, dont ilz gettoient le feu gregois sur la chaussée du fleuve, vis à vis de noz tandeis et gardes. Dont il advint que nul ne se ouzoit trouver ne monstrer. Et furent nos deux chaz chateilz en ung moment consumez et bruslez.

  1. Haie : machine à lancer le feu grégeois.
  2. Traict (de traire) : tiré, jeté.
  3. Ahan : fatigue, peine.
  4. Trect et pilotz : traits d’arbalète.
  5. Tandeis : bagages.