Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1re série, tome 2.djvu/238

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puissance. » Et tantoust que les Turcs getterent le premier coup du feu, nous nous mismes acoudez et à genoulz, ainsi que le preudoms nous avoit enseigné. Et cheut le feu de cette premiere foiz entre noz deux chaz chateilz, en une place qui estoit devant, laquelle avoient faite noz gens pour estoupper le fleuve. Et incontinant fut estaint le feu par ung homme que avions, propre à ce faire. La maniere du feu gregois estoit telle, qu’il venoit bien devant aussi gros que ung tonneau, et de longueur la queuë en duroit bien comme d’une demye canne de quatre pans. Il faisoit tel bruit à venir, qu’il sembloit que ce fust fouldre qui cheust du ciel, et me sembloit d’un grant dragon vollant par l’air : et gettoit si grant clarté, qu’il faisoit aussi cler dedans nostre ost comme le jour, tant y avoit grant flamme de feu. Trois foys celle nuytée nous getterent ledit feu gregois o ladite perriere, et quatre foiz avec l’arbeleste à tour. Et toutes les fois que nostre bon roy saint Loys oyoit qu’ils nous gettoient ainsi ce feu, il se gettoit à terre, et tendoit ses mains la face levée au ciel, et crioit à haulte voix à Nostre Seigneur, et disoit en pleurant à grans larmes : « Beau sire Dieu Jesus-Christ, garde moy et toute ma gent ! » Et croy moy que ses bonnes prieres et oraisons nous eurent bon mestier[1]. Et davantage, à chacune foiz que le feu nous estoit cheu devant, il nous envoioit ung de ses chambellans pour savoir en quel point nous estion, et si le feu nous avoit grevez. L’une des foiz que les Turcs getterent le feu, il cheut de couste le chaz

  1. Nous eurent bon mestier : nous furent d’un grand secours.