Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1re série, tome 2.djvu/279

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Et ainsi que admonnestoie[1] mes mariniers de nous en aller peu à peu, j’aperceu les Sarrazins à la clarté du feu qui entrerent en nostre ost, et tuoient les malades sur la rive. Et ainsi que mes mariniers tiroient leur encre, et que commançasmes ung peu à vouloir descendre aval, veez-cy venir les mariniers, qui devoient prandre les pouvres malades, qui apperceurent que les Sarrazins les tuoient : et coupperent hastivement leurs cordes de leurs encres et de leurs grans gallées, et acouvrirent[2] mon petit vaissel de tous coustez, et n’attendoie l’eure qu’ilz ne nous affondrassent au fons de l’eauë. Quant nous fusmes eschappez de ce peril, qui estoit bien grant, nous commençasmes à tirer aval le fleuve. Et voiant le Roy, qui avoit la maladie de l’ost et la menoison[3] comme les autres, que nous le laissions ; et si se fust bien garenty s’il eust voulu és grans gallées : mais il disoit qu’il aymoit mieulx mourir que laisser son peuple. Il nous commença à hucher[4] et crier que demourasson. Et nous tiroit de bons garrotz[5] pour nous faire demourer, jusques à ce qu’il nous donnast congié de nager. Or je vous lerray[6] icy, et vous diray la façon et maniere comme fut prins le Roy, ainsi que lui mesmes me compta. Je luy ouy dire qu’il avoit laissé ses gensd’armes et sa bataille, et s’estoient mis lui et messire Geffroy de Sergines en la bataille de messire Gaultier de Chastillon, qui faisoit l’arrière-garde. Et estoit le Roy monté sur ung petit coursier, une housse de soie vestuë. Et ne lui

  1. Admonnestoie : j’avertissois.
  2. Acouvrirent : pressèrent.
  3. Menoison : ulcères qui se formoient dans les chairs.
  4. Hucher : appeler.
  5. Garrotz : traits d’arbalète.
  6. Lerray : laisserai.