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ANCIENS MÉMOIRES

le bareau ; quand il veut employer dans le commerce et dans le negoce celuy qui n’a du penchant que pour l’éloquence, et jetter dans les intrigues et les négociations celuy qui n’aime que la retraite et la solitude. Ce choix inconsidéré fait qu’on voit peu de gens exceller dans le party qu’on leur a fait prendre, parce que leur naturel étant forcé, n’agit point de source, et ne fait que de languissans efforts ; au lieu que s’il se laissoit aller à cette rapide inclination qu’il sent d’origine, il éclateroit avec un succès admirable, et feroit un progrès merveilleux dans l’art, ou dans l’état auquel il se seroit volontairement appliqué.

Bertrand Du Guesclin, dont j’entreprens d’écrire la vie, fut un génie de ce caractère : la guerre fut tout son penchant ; il aima les armes en naissant ; et, cultivant toujours cette inclination martiale, il devint enfin le plus fameux capitaine de son siècle, et se procura par sa valeur et son expérience la dignité de connétable de France, au delà de laquelle l’ambition d’un homme de guerre ne peut plus rien prétendre. Il y vint par degrez ; et, dans le cours d’une vie de soixante six ans, il donna chaque année de nouvelles preuves de son courage et de sa bravoure ; et rendit de si grands services à l’État, que pour en rendre la mémoire immortelle, Charles le Sage, son maître et son roy, voulut qu’une lampe fût toujours allumée sur le tombeau de ce héros, de peur que la postérité ne perdît le souvenir des mémorables actions qu’il avoit faites sous son règne : il le fit même enterrer à Saint-Denis, pour donner une sépulture royale à celuy qui par ses victoires avoit conservé la couronne de France dans son lustre et dans sa splendeur.