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ANCIENS MÉMOIRES

comme s’ils avoient de la répugnance à le reconnoître pour leur fils. Tous ces mauvais traitemens rendoient cet enfant encore plus sombre et plus mélancolique ; et quand les domestiques s’en approchoient pour luy dire quelque chose de fâcheux et le tourmenter, il leur témoignoit son ressentiment en levant contre eux un bâton qu’il avoit toûjours en sa main. Cependant il fit bien voir un jour à sa mere qu’il n’etoit pas insensible aux outrages qu’on luy faisoit : car cette dame faisant asseoir à sa table les cadets de Bertrand, sans luy vouloir permettre d’y prendre sa place avec eux, cet enfant, quoy qu’il n’eût encore que six ans, ne put digérer un affront si sanglant, et, sans se soucier s’il perdoit le respect à sa mère[1], il menaça ses frères de tout renverser s’ils pretendoient l’empêcher de prendre au dessus d’eux le rang qui luy appartenoit comme à leur aîné. Des paroles il vint aux effets, et l’indignation qu’il avoit de se voir négligé de la sorte, le fit aussitôt partir de la main, se mettant brusquement à table sans en attendre l’ordre de sa mère, et mangeant tout en colère, mal proprement, et de mauvaise grâce. Cette saillie, qui venoit pourtant d’un bon fonds, déplut fort à sa mère, qui lui commanda de sortir au plutôt, et le menaça que s’il n’obeissoit sur l’heure, elle le feroit foüetter jusqu’au sang. Ce

  1. Lors se leva, et vint à ses frères, que il moult aimoit, et leur demanda de haulte voix : « se ilz se devoient là asseoir des premiers au mengier, et il deust jeûner, et attendre aussi comme un garçon. Et en outre leur dist, que il iroyt seoir à leur table, voulzissent ou non, et se ilz en parloient, il abatroit tout par terre. » (Histoire manuscrite de Du Guesclin, publiée par Ménard, p. 4. Dans les notes subséquentes, cet ouvrage sera désigné seulement par le nom de Ménard).