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SUR DU GUESCLIN.

petit garçon se le tint pour dit, il se leva de la place qu’il avoit prise ; mais ce fut avec tant de rage, qu’il jetta par terre et la table et toutes les viandes qu’on avoit servy devant cette dame, qui, surprise de son audace, luy donna mille malédictions, luy dit les paroles du monde les plus indignes, et luy témoigna qu’elle étoit au desespoir de se voir la mere d’un bouvier, qui ne feroit jamais que du deshonneur au sang dont il etoit sorty.

Tandis que cette dame se déchaînoit ainsi sur son fils, une juifve entra dans sa chambre, et comme elle avoit assez d’habitude et d’accés auprès d’elle, elle prit la liberté de luy demander le sujet de son emportement et de son chagrin. Le voila, luy dit-elle en luy montrant le petit Guesclin, qui se tenoit tapy dans un coin, soûpirant et pleurant sur toutes les duretez qu’il luy falloit tous les jours essuyer. La juifve, qui se piquoit d’être habile physionomiste, approcha de Bertrand, et regardant avec attention les traits de son visage et les lineamens de ses mains, elle essaya de l’appaiser en luy disant quelque chose d’obligeant, et le conjurant de ne se point décourager, parce qu’elle prevoyoit qu’il ne seroit pas toûjours malheureux. L’enfant, qui croyoit que cette femme vouloit se divertir à ses dépens, la repoussa rudement et luy dit qu’elle le laissât en paix, qu’elle allât porter plus loin ses railleries, et qu’autrement il luy donneroit du bâton qu’il avoit dans sa main. La juifve ne se rebuta point, et ne se contentant pas d’avoir si bien cajolé le petit Bertrand qu’elle l’appaisa tout à fait, elle se tourna du côté de sa mère, et l’assûra que cet enfant étoit né pour de grandes choses, qu’il se feroit un jour