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ANCIENS MÉMOIRES

prince, que l’on appelloit avec raison Pierre le Cruel, poussa si loin l’inhumanité qu’il avoit pour sa femme, qu’il ne se contenta pas de luy ôter la liberté, la confinant dans une prison, mais il en voulut encore à sa vie, sur laquelle il entreprit par un poison qu’il luy fit donner, mais dont elle sçut se garantir par des vomitifs, parce que connoissant le mauvais fonds de ce prince et la jalousie de sa concubine, elle se tenoit toûjours là dessus sur ses gardes. Tous ces outrages ne luy firent point perdre ny le respect, ny les égards qu’elle devoit avoir pour luy, se premettant que Dieu luy toucheroit le cœur et luy dessilleroit les yeux, pour le faire sortir de son aveuglement.

Autant que Pierre se faisoit haïr, autant Henry, son prétendu frere naturel, se faisoit aimer. Il sembloit que la Couronne luy étoit plus deüe qu’à ce roy barbare ; car il avoit trouvé le secret de se concilier tous les cœurs par des airs tout à fait engageans, et personne ne sortoit d’auprés de luy que très satisfait de l’accueil qu’il en avoit reçu, tant il avoit le don de plaire à tout le monde. Tous les cœurs étoient tournez de ce côté là. La fierté du premier faisoit adorer la douceur du second, et la religion catholique, dont il faisoit une haute et sincère profession, rendoit odieux ce penchant que Pierre témoignoit pour la superstition des Juifs. On souhaitoit donc de le voir sur le trône à la place de ce dernier, dont on ne pouvoit plus supporter la conduite. Henry cachoit de son mieux son ambition, demeurant toujours à la Cour de son frere, qui faisoit son séjour à Burgos, et se ménageant avec luy, de même qu’un sujet