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SUR DU GUESCLIN.

rêts, et cultiver par là les amis et les creatures de son mary. Ce luy fut une joye bien grande quand elle apprit qu’elle alloit devenir reine d’un grand royaume, lors même qu’elle croyoit tout perdu pour Henry. Elle se rendit à Burgos dans un fort leste et pompeux équipage, accompagnée des trois sœurs du Roy son mary. Mais avant que d’y faire son entrée, qui fut des plus superbes, elle descendit de carosse aux approches de cette grande ville, et monta sur une tres belle mule qui portoit une selle toute couverte de pierreries, d’où pendoit une housse de pourpre, enrichie d’un brocard d’or dont les yeux des spectateurs étoient ebloüis ; le harnois étoit aussi d’un prix proportionné à toutes ces richesses.

On vint dire secrettement à Bertrand que la Reine[1] étoit presque aux portes de Burgos. Il monta tout aussitôt à cheval pour luy faire honneur, accompagné d’Hugues de Caurelay, d’Olivier de Mauny, de Jean

  1. Et tantost comme la Reine approcha d’eulx, elle descendi jus de sadite mule. Et aussi ilz mirent pié à terre, et vindrent à l’encontre d’elle. Adonc Berlran l’ala embracier, et doubcement la salua, et lui dist qu’il lui failloit remonter. Et elle dist, que non feroit, et que bien devoit aler à pié avecques ceulx, qui ainsi la faisoient servir et honnourer. Car n’agaires estoit pouvre femme, qui n’avoit que donner, et toute nue ; et maintenant l’avoient faite riche… Et les suers de Henry commencierent moult à regarder Bertran, et dist l’une dicelles : « Je voy merveilles, que ce Bertran, dont j’ay pieca oy (déjà ouï) parler, est treslait, qui bien le regarde : et si l’ay oy tant honnourer et prisier… » Et la seconde dist : « Dieu le veuille sauver. On doit mieulx amer bonté que beauté. C’est le plus vaillant et le plus eureulx, et aventureux de Batailler et de conquerre chasteaux et villes, qui soit par deçà la mer. » Et la tierce suer si dist : « Or avisez, il a bien coursage d’omme, et chiere de sanglier, les poings gros et quarrez pour porter espée ; et bien est taillié d’estre fort pour soustenir et endurer grans paines. » (Ménard, p. 203.)