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ANCIENS MÉMOIRES

d’Evreux et de Gautier Hüet. Aussitôt qu’elle les aperçut, elle descendit de sa mule, pour leur témoigner qu’elle tenoit de leur bravoure et de leur valeur le bienheureux état dans lequel elle alloit entrer, et que sa presente prosperité ne l’avoit pas tellement entêtée qu’elle luy eût fait oublier sa premiere condition. Tous ces generaux se jetterent à bas de leurs montures, la voyans à pied, et la conjurerent de remonter sur sa mule. Elle fit beaucoup de façons avant que de s’y resoudre, disant qu’il étoit de son devoir de faire honneur à ceux ausquels elle étoit redevable de la couronne qu’elle alloit porter. Ces paroles étoient accompagnées de tant de grace et de majesté que ces seigneurs en étoient charmez et se disoient l’un à l’autre qu’une telle dame meritoit de regner. Quand ils furent tous remontez auprés d’elle, ses belles sœurs étudians la mine de Bertrand, dont elles avoient tant entendu parler, s’entretinrent sur son chapitre ; l’une d’elles, toute étonnée de son exterieur ingrat et de son air tout disgracié, ne put s’empêcher de dire : Mon Dieu qu’il est laid ! est-il possible que cet homme ait acquis dans le monde une si grande réputation ? La seconde répondit qu’il ne falloit pas juger des gens par les apparences, et qu’il luy suffisoit qu’il fut brave, intrepide, heureux, et sortant toûjours avec un succés incroyable de toutes les expeditions qu’il entreprenoit. La troisiême encherit encore sur la seconde, en faisant remarquer aux deux autres qu’il étoit d’une taille robuste, qu’il avoit les poings gros et quarrez, qu’il avoit la peau noire comme celle d’un sanglier, et qu’on ne devoit pas s’étonner s’il en avoit aussi la force et le courage. Tandis que ces princesses observoient ainsi Bertrand depuis la tête