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SUR DU GUESCLIN.

les autres seigneurs, pour sçavoir quelle conduite il devoit garder à l’égard du prince de Galles et de toutes les bravades qu’il luy avoit fait, pour appuyer les interêts d’un renegat et d’un meurtrier qui ne s’étoit pas contenté d’abjurer la religion chrétienne, mais s’étoit rendu l’execration de toute l’Europe par le coup détestable qu’il avoit fait faire à deux juifs sur la personne de sa propre femme, qu’il avoit eu l’inhumanité d’immoler au caprice et à la jalousie de sa concubine. Bertrand le conjura de ne point perdre cœur et de compter non seulement sur luy, mais sur tant de braves qui luy restoient encore, et qui ne craindroient point de sacrifier leur vie pour le maintenir dans le trône sur lequel ils l’avoient placé. Mais il ne put pas s’empêcher de luy dire, tout bas à l’oreille, qu’il apprehendoit que les Espagnols, dans l’occasion, ne se dementissent beaucoup et ne fissent pas bien leur devoir. Il falut pourtant dissimuler cette crainte et faire toûjours bonne mine, comme si l’on ne doutoit pas du courage et de la generosité de ceux de cette nation.

Ce prince assembla donc de tous cotez le plus de forces qu’il luy fut possible, mandant les archers, les gendarmes et les arbalêtriers pour renforcer son armée. Ce luy fut un spectacle fort agreable, quand il vit venir vingt mille hommes de Séville seule, dix mille de Burgos, autant de Sarragosse, si bien que toutes ses troupes pouvoient monter, avec ce qu’il avoit déjà, jusqu’à soixante mille hommes. Il falloit voir le superbe attirail des tentes, pavillons, munitions de guerre et de bouche que cette armée traînoit après elle. L’avant-garde étoit commandée par le Besque de Vilaines, et