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SUR DU GUESCLIN.

fit entrer le Roy pèlerin sur l’heure de midy, qu’un grand repas étoit preparé pour le mieux recevoir. Ils s’aboucherent secrettement tous deux. Henry luy fit part du dessein qu’il avoit d’aller trouver le duc d’Anjou, dans l’esperance qu’il avoit que ce prince ne l’abandonneroit pas dans le déplorable état de ses affaires. Bertrand goûta fort le party qu’il prenoit ; mais il le pria qu’en parlant au Duc il ne luy proposât point d’offrir aucune somme au prince de Galles pour sa délivrance ; car, dit-il, c’est le plus orgueilleux qui fut oncques né de mere, et ne oncques pour prière ne s’est voulu amollier. Tandis qu’ils étoient dans cette conférence secrette, l’hôtesse les interrompit en leur venant dire que tout étoit prêt, qu’ils n’avoient plus qu’à se mettre à table, et que les viandes se refroidissoient. Ils se mirent aussitôt à manger ; mais pendant qu’ils faisoit grand’chère, le geolier tira sa femme à l’écart et luy déclara[1] le soupçon qu’il avoit que ce pelerin ne tramât quelque chose avec Bertrand contre le service du prince de Galles, et qu’il avoit envie d’aller de ce pas luy en donner avis. La femme appréhendant que la resolution que prenoit son mary

  1. Le portier que le propos de Bertran avoit mué, appella sa femme à part, et lui dist : « Dame, j’ay grant souspeçon, et me doubte que icellui pellerin ne pourchasse aucune trayson. Et pour ce je en vueil aler avertir le Prince… » La dame en vint accointier ledit Bertran… Quant ledit Bertran l’entendi, qui avoit le cuer hardi comme un droit lion, si s’en vint par qrant maltalent devers ledit portier : et lui donna tel cop d’un baston, qu’il le fist aller à genoulx. Puis lui toli les clefs, et ouvry l’uis. Si mist dehors le roy Henry, et les siens, ausquelz il donna congié… Puis dist Bertran au portier : « Traitre, Dieu vous puist cravanter… » Tant le démena, que par belles parolles, comme de fait, icellui portier fu du tout à son commandement. (Ménard, p. 288.)