Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 37.djvu/120

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aborder à un dos ports de Bretagne. Lorsqu’elle put apercevoir les côtes de France, elle se mit dans une chaloupe, et descendit dans un village au travers des roches où elle eut de la peine à passer, où des paysans la logèrent dans une petite maison couverte de chaume ; mais quelques gentilshommes du pays ayant appris que c’étoit cette princesse, qui paroissoit plutôt une misérable héroïne de roman qu’une reine véritable, ils lui amenèrent des carrosses qui servirent à faire son voyage de Bourbon, où je l’ai laissée en commençant cette narration. Comme la mémoire du roi Henri iv est chère aux Français, elle fut toujours suivie d’une fort grande foule de peuple, qui couroit après pour la voir. Elle étoit fort malade et fort changée, ses infortunes lui ayant donné une si grande tristesse, et son esprit étant si pénétré de ses malheurs, qu’elle pleuroit presque toujours : ce qui fait voir ce que peut la douleur sur l’ame et sur le corps ; car naturellement cette princesse étoit gaie et parloit agréablement : si bien que dans le fâcheux état où elle se trouvoit, disant un jour à ce grand médecin Mayerne, qui étoit auprès d’elle, qu’elle sentoit sa raison s’affoiblir, et qu’elle craignoit d’en devenir folle, à ce qu’elle m’a conté, il lui répondit brusquement : « Vous n’avez que faire de le craindre, madame, vous l’êtes déjà. » Elle trouva véritablement quelques remèdes à ses maux corporels en France son pays natal, dont l’air et les eaux lui furent salutaires ; mais il fallut bien du temps pour adoucir les autres. Je dirai ailleurs comme elle nous a paru quand nous la vîmes à la cour ; mais, avant que de reprendre la suite de mes Mémoires de l’année 1644,