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DU CARDINAL DE RETZ. [1650]

recherché cette faveur, que je connoissois pour très-fragile et pour périlleuse, par l’humeur de Monsieur ; et parce que je n’ignorois pas que l’ombre même d’un cabinet, dont on ne peut empêcher les foiblesses, n’est pas bonne à un homme dont la principale force consiste dans la réputation publique. Ma pensée avoit été de lui produire le président Bellièvre, parce qu’il lui falloit toujours quelqu’un qui le gouvernât : mais il ne prit pas le change. Il avoit de l’aversion pour sa mine trop fine et trop bourgeoise, disoit-il. Le cardinal, qui croyoit, et avec raison, Goulas trop dépendant de Chavigny, balança trop au choix : car si d’abord il eût soutenu Beloi, ami de Goulas, je crois qu’il eût réussi. Quoi qu’il en soit, le sort tomba sur moi ; et j’en fus presque aussi fâché que la cour, pour les raisons marquées, et parce que cette sujétion contraignoit mon libertinage, qui étoit extrême et hors de raison.

Un autre incident me brouilla avec M. le cardinal. Le comte de Montross[1], Écossais, et chef de la maison de Graham, le seul homme du monde qui m’ait jamais rappelé l’idée de certains héros que l’on ne

  1. Le comte de Montross : Jacques Graham, comte et duc de Montross, seigneur écossais. Il fut l’un des plus intrépides défenseurs de Charles premier. Après sa mort, il parut en Écosse au nom de Charles II, et y déploya l’étendard royal. Étant tombé entre les mains du parti contraire, il fut condamné à être pendu, et l’on ordonna que ses membres seroient attachés aux portes des principales villes d’Écosse, « Ah ! s’écria-t-il en entendant lire sa sentence, que ne me coupe-t-on en assez grand nombre de morceaux pour rappeler à chaque village du royaume la fidélité qu’un sujet doit à son roi ! » Il mit ensuite cette pensée en vers. Ayant été conduit au supplice, il mourut avec courage le 21 mai 1650, âgé de trente-huit ans. On peut s’étonner qu’un tel homme ait eu des liaisons aussi intimes avec le chef de la Fronde.