Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 45.djvu/6

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3
DU CARDINAL DE RETZ. [1649]

choses à l’extrémité. Je voyois que la cour, qui se croyoit assurée du parlement, y précipitoit nos généraux, par le mépris qu’elle recommençoit d’en faire. Je voyois que toutes ces dispositions nous conduisoient à une sédition populaire qui étrangleroit le parlement, qui mettroit les Espagnols dans le Louvre, qui renverseroit peut-être l’État. Et je voyois sur le tout que le crédit que j’avois chez le peuple et par M. de Beaufort et par moi-même, et les noms de Noirmoutier et de Laigues, qui avoient mon caractère, me donneroient le triste et le funeste honneur de ces fameux exploits, dans lesquels le premier soin du comte de Fuensaldagne seroit de m’anéantir moi-même.

Je fus tout le matin dans ces pensées, et je me résolus de les aller communiquer à mon père, qui depuis plus de vingt ans étoit retiré dans l’Oratoire, et qui n’avoit jamais voulu entendre parler de mes intrigues. Il me vint une pensée entre la porte Saint-Jacques et Saint-Magloire, qui fut de contribuer sous main en tout ce qui seroit en moi à la paix, pour assurer l’État, qui me paroissoit sur le penchant de sa ruine ; et de m’y opposer en apparence pour me maintenir avec le peuple, et pour demeurer toujours à la tête d’un parti non armé, que je pourrois armer et ne pas armer dans la suite, selon les occasions. Cette imagination, quoique non digérée, tomba d’abord dans l’esprit de mon père, qui étoit naturellement fort modéré ; et cela commença à me faire croire qu’elle n’étoit pas si extrême qu’elle me l’avoit paru d’abord. Après l’avoir discutée, elle ne nous parut pas même si hasardeuse à beaucoup près ; et je me ressouvins