Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/277

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trompeurs. Ce qui commença à le rassurer fut l’arrivée de Beauchêne que j’avois dépêché à Paris de Beaupréau, et que mes amis me renvoyèrent en diligence, aussitôt qu’ils surent que je m’étois embarqué pour Saint-Sébastien. Il le trouva si bien informé des nouvelles, qu’il eut lieu de croire que ce n’étoit pas un courrier supposé ; et il l’en trouva même beaucoup mieux instruit qu’il n’eût souhaité : car ce fut lui qui lui apprit que l’armée de France avoit forcé celle d’Espagne dans les lignes d’Arras[1] ; et cet avis, que M. de Vateville fit passer en diligence à Madrid, fut le premier que l’on y eut de cette défaite. Beauchêne me l’apporta avec une diligence incroyable, sur une frégate de corsaire biscayen, qu’il trouva à la pointe de Belle-Ile et qui fut ravi de se charger de sa personne et de son passage, sachant qu’il me venoit chercher à Saint-Sébastien. Mes amis me l’envoyèrent, pour m’exhorter à prendre le chemin de Rome plutôt que celui de Mézières, où ils appréhendoient que je ne voulusse me jeter. Cet avis étoit certainement le plus sage : il ne fut pas le plus heureux par l’événement. Je le suivis sans hésiter, quoique ce ne fût pas sans peine. Je connoissois assez la cour de Rome pour savoir que le poste d’un réfugié et d’un suppliant n’y est pas agréable ; et mon cœur, qui étoit piqué au jeu contre le cardinal Mazarin, étoit plein de mouvemens qui m’eussent porté avec plus de gaieté dans les lieux où j’eusse pu donner un champ plus libre à mes ressentimens. Je n’ignorois pas que je ne pouvois

  1. Dans les lignes d'Arras : Le prince de Condé avec l’armée du roi d’Espagne, faisoit le siége d’Arras. Turenne força les lignes le 25 août 1654, battit les Espagnols, et leur fit lever le siége.