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LA CONJURATION


DU COMTE


JEAN-LOUIS DE FIESQUE.


Au commencement de l’année 1547, la république de Gênes se trouvoit dans un état que l’on pouvoit appeler heureux s’il eût été plus affermi. Elle jouissoit en apparence d’une glorieuse tranquillité acquise par ses propres armes, et conservée par celles du grand Charles-Quint, qu’elle avoit choisi pour protecteur de sa liberté. L’impuissance de tous ses ennemis la mettoit à couvert de leur ambition, et les douceurs de la paix y faisoient revenir l’abondance, que les désordres de la guerre en avoient si long-temps bannie ; le trafic se remettoit dans la ville avec un avantage visible du public et des particuliers et si l’esprit des citoyens eût été aussi exempt de jalousie que leurs fortunes l’étoient de la nécessité, cette république se seroit relevée en peu de jours de ses misères passées, par un repos plein d’opulence et de bonheur. Mais le peu d’union qui étoit parmi eux et les semences de haine que les divisions précédentes avoient laissées dans les cœurs étoient des restes dangereux qui marquoient bien que ce grand corps n’étoit pas encore remis de ses maladies, et que sa guérison étoit semblable à la santé apparente de ces visages bouffis sur lesquels un peu d’embonpoint cache beaucoup de mauvaises humeurs. La noblesse, qui avoit le gouvernement entre ses mains, ne pouvoit oublier les injures qu’elle avoit reçues du peuple dans le temps qu’elle étoit éloignée des affaires. Le peuple de son côté ne pouvoit souffrir la domination de la noblesse que comme une nouvelle tyrannie qui étoit contraire aux ordres de l’État. Une partie même des gentilshommes qui prétendoient à une plus haute fortune envioit ouvertement la grandeur des autres. Ainsi les uns commandoient avec orgueil, les autres obéissoient avec rage, et beaucoup croyoient obéir parce qu’ils ne commandoient pas assez absolument ; quand la Providence permit qu’il arrivât un