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Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 63.djvu/433

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MÉMOIRES

dinal et moi avons été accoutumés dès l’enfance à nous connoitre, et, si je l’ose dire, à nous aimer. Il commença à faire parler de lui par une querelle qu’il eut à un collège avec l’abbé d’Harcourt, qu’il soutint vigoureusement. Le lendemain, ma mère me demanda si j’avois été lui offrir mon bréviaire : je lui dis que non, et que l’abbé d’Harcourt étoit de mes amis. « Comment, me dit-elle, le neveu de M. de Turenne ! Courez vite, ou sortez de chez moi. » C’étoit une maîtresse femme, qui faisoit ma fortune. J’y allai, et depuis ce jour-là j’ai toujours été attaché à lui et jamais (ce qui est assez rare dans une amitié de plus de cinquante années) il n’y a eu le moindre froid entre nous. Je vais donc écrire des Mémoires que je commencerai dès sa plus tendre enfance, et je me garderai bien de lui en parler. Je m’instruirai à fond dans nos conversations des choses que je ne sais pas assez exactement : il aime assez à parler de ce qui le regarde quand il parle a un ami particulier, et cela est fort naturel ; et d’ailleurs je me veux réserver le droit de le blâmer quand il sera blâmable. Tous les hommes font des fautes ; mais la plupart n’aiment pas qu’on les avertisse, et surtout les grands seigneurs, qui sont accoutumés aux louanges. Je l’aime tendrement, mais j’aime encore mieux la vérité et tout mon attachement ne me fera jamais rien dire à son avantage qui ne soit vrai : aussi je ne cacherai rien de ce qui peut le justifier sur les prétendus crimes qu’on lui a imputés ; et, sans manquer au respect que je dois à ceux que Dieu a mis sur nos têtes, je dirai simplement les choses comme elles se sont passées. Je dirai de plus que je n’ai pas été élevé dans une bou-