Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/293

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Je ne dois pas me plaindre d’avoir été vaincu, moi jeune, imprudent, désarmé et livré à moi-même. Et si Amour n’a point enchaîné mon ennemie,

Ce n’est pas encore une juste raison pour que je me plaigne ; car je l’ai vu par suite réduit en un tel état, que je n’eus pas à en pleurer, tellement les ailes et la faculté de voler lui avaient été enlevées.

Une plus grande rumeur n’est pas produite par deux fiers lions qui se heurtent de la poitrine, ou par deux éclairs ardents qui se font faire place par le ciel, la terre et la mer,

Que celle que je vis produire par Amour lorsqu’il s’ébranla avec toutes ses forces contre celle dont je parle. Elle, de son côté, fut plus prompte que la flamme ou que le vent.

Le bruit est moins grand et moins terrible, quand l’Etna est secoué plus violemment par Encelade, ou quand Scylla et Charybde sont en colère,

Que ne fut le bruit produit par le premier choc de ce douteux et grave combat ; et je ne crois pas que je sache et que je puisse le dire.

Chacun des assistants cherchait les endroits élevés pour mieux voir ; et l’horreur de l’aventure avait rendu immobiles les cœurs et les yeux.

Ce vainqueur, qui avait attaqué le premier, tenait dans sa main droite la flèche et dans son autre main l’arc, dont il avait déjà tendu la corde à son oreille.

Jamais un léopard, libre dans la forêt, ou venant de rompre sa chaîne ne courut si rapidement au passage de la biche qui fuit,

Qu’il n’eût paru ici lent et tardif, tellement Amour fut prompt à frapper, et le visage étincelant du feu dont je brûle tout entier.