Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/306

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« — Moi je suis vivante, et toi tu es mort encore — dit-elle — et tu le seras jusqu’à ce que ta dernière heure vienne t’arracher à la terre.

« Mais le temps est court et notre désir est long. Donc, je te préviens que tu aies à restreindre et à refréner tes paroles avant que le jour, qui est déjà proche, ne se lève. — »

Et moi : « — Au terme de cette autre sirène qu’on nomme la vie, dis-moi, toi qui le sais pour l’avoir éprouvé, si mourir est une grande souffrance. — »

Elle répondit : « — Pendant que tu vas à la remorque du vulgaire et de son opinion aveugle et cruelle, tu ne peux jamais être heureux.

« La mort est la fin d’une prison obscure pour les âmes gentilles ; pour les autres qui ont placé tout leur succès dans la fange, c’est une souffrance.

« Et maintenant ma mort qui te rend si triste, te réjouirait si tu sentais la millième partie de ma joie. — »

Ainsi elle parlait, les yeux dévotement fixés au ciel ; puis elle imposa silence à ses lèvres de roses jusqu’à ce que je dis :

« — Sylla, Marius, Néron, Gaius et Mesenticus, les maux d’entrailles et d’estomac, les fièvres ardentes font paraître la mort plus amère que l’absinthe. — »

« — Je ne puis nier — dit-elle — que l’angoisse qui précède la mort ne soit une forte douleur, mais plus forte encore est la crainte du dam éternel.

« Mais si l’âme se réconforte en Dieu, ainsi que le cœur qui, par lui-même, est faible, la mort n’est-elle pas autre chose qu’un léger soupir ?

« J’étais déjà proche du dernier pas ; ma chair était malade et mon âme encore vigoureuse, quand j’entendis dire d’un ton triste et bas :