Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/356

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sur ton beau corps, il me plaît au moins que mes soupirs soient tels que les attendent le Tibre et l’Arno et le Pô où, dolent et grave, je m’assieds maintenant. Recteur du ciel, je demande que la pitié qui t’amena sur la terre, te fasse tourner vers ton doux pays aimé. Vois, Seigneur courtois, quelle guerre cruelle pour de si légers motifs ! Et les cœurs, qu’endurcit et ferme Mars superbe et féroce, ouvre-les, toi, notre père, attendris-les et les dénoue. Fais que ta vérité, quelque indigne que je sois, s’entende par ma bouche.

Vous, aux mains de qui la Fortune a mis les rênes des belles contrées pour lesquelles il semble qu’aucune pitié ne vous étreigne, que font ici tant d’épées étrangères ? Pourquoi cette verte terre se teindrait-elle du sang barbare ? Une erreur vaine vous leurre ; vous voyez peu et il vous semble voir beaucoup, car dans un cœur vénal vous cherchez amour ou fidélité. Celui qui possède le plus de gens d’armes, est celui qui a le plus d’ennemis autour de lui. Ô déluge venu de quels déserts étranges pour inonder nos douces campagnes ! Si c’est de nos propres mains que cela nous arrive, qui donc nous en délivrera ?

La Nature a bien pourvu à notre tranquillité, quand elle a placé le rempart des Alpes entre nous et la rage tudesque ; mais le désir aveugle et qui va contre son propre intérêt, s’est depuis tellement ingénié, qu’à un corps sain il a donné la gale. Maintenant, en une même cage, sont enfermées les bêtes sauvages et les douces brebis, de sorte que c’est toujours le meilleur qui en souffre. Et, pour plus de honte, cela nous vient des descendants du peuple sans loi à qui, comme on le lit dans l’histoire, Marius ouvrit si bien le flanc, que le souvenir de ce haut fait n’est pas encore effacé,