Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/54

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yeux heureux et doux s’il ne vous était pas enlevé la faculté de vous voir vous-mêmes. Mais toutes les fois que vous vous tournez vers moi, vous voyez par mon aspect ce que vous êtes.

Si l’incroyable beauté divine dont je parle, vous était aussi connue qu’à celui qui la contemple, elle aurait au cœur une allégresse démesurée ; mais peut-être cette beauté n’est-elle pas soumise à la puissance naturelle qui vous ouvre et vous fait mouvoir. Heureuse l’âme qui soupire pour vous, lumières du ciel qui me font aimer la vie, car pour le reste je ne l’estime point. Hélas ! pourquoi me donnez-vous si rarement ce dont je ne suis jamais rassasié ? Pourquoi ne regardez-vous pas plus souvent le carnage qu’Amour fait en moi ? Et pourquoi me dépouillez-vous si vite du bien que de temps en temps mon âme éprouve ?

Je dis que de temps en temps, par votre grâce, je sens en mon âme une douceur inusitée et nouvelle, qui dissipe alors tout le fardeau des pensers ennuyeux, de façon que sur mille pensers qui y étaient, un seul y reste. Ce moment-là de ma vie, et non le reste, me réjouit. Et si ce bien durait un peu, nul état ne pourrait se comparer au mien ; mais un tel honneur ferait peut-être envie aux autres et me rendrait orgueilleux. Mais hélas ! il faut que les pleurs suivent de près la joie, et que les chaudes émotions cessent vite ; il faut que je revienne à moi, et que je pense à moi-même.

L’amoureux penser qui est en Laure, se révèle à moi par vous, de façon à me tirer toute autre joie du cœur ; alors, mes paroles et mes actes sont ainsi faits, que j’espère devenir immortel, bien que mon corps doive mourir. L’angoisse et l’ennui fuient à votre