Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/59

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Depuis que je les ai vus pour la première fois, je n’ai pas fait un pas dans le bien sans eux ; aussi les ai-je mis au-dessus de moi pour me guider, car mon mérite est peu de chose par lui-même.

Je ne pourrais jamais imaginer, loin de pouvoir raconter, les effets que produisent dans mon cœur les yeux suaves de Laure. Tous les autres plaisirs de la vie, je les tiens pour bien inférieurs à celui-là, et toutes les autres beautés restent bien en arrière. Une tranquille paix, sans la moindre peine, semblable à celle que le ciel éternise, naît de leur sourire amoureux. Que ne puis-je passer seulement un jour à les contempler, alors que doucement Amour les fait mouvoir, sans que les sphères célestes accomplissent jamais leur mouvement de rotation, sans penser à d’autres ni à moi-même, et pendant que je retiendrais le plus possible le battement de mes yeux.

Hélas ! que vais-je désirer ce qui ne peut être d’aucune façon ! Pourquoi vivre d’un désir en dehors de toute espérance ? Si seulement ce nœud qu’Amour noue autour de ma langue quand la trop grande splendeur des yeux de Laure éblouit ma vue d’homme, était dénoué, je prendrais l’audace de dire sur ce fait si nouveau des paroles qui feraient pleurer ceux qui les entendraient. Mais les blessures dont il est meurtri forcent mon cœur blessé à se tourner ailleurs. Et j’en deviens tout pâle ; mon sang se cache je ne sais où, et je ne suis plus ce que j’étais auparavant. Je me suis bien aperçu que c’est là le coup dont Amour m’a tué.

Chanson, je sens déjà ma plume se fatiguer du long et doux entretien que j’ai eu avec elle ; mais moi, je ne suis pas fatigué de m’entretenir avec mes pensées.