Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/58

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Au commencement, je croyais trouver, en parlant, un peu de repos et quelque trêve à mon ardent désir. Cette espérance me donna l’audace de parler de ce que je sentais ; maintenant elle m’abandonne et se détache de moi. Pourtant il faut poursuivre ma haute entreprise, et continuer mes chants amoureux, si puissante est la volonté qui m’emporte, et puisque la raison qui lui retenait les rênes est morte et ne peut plus s’y opposer. Montre-moi, du moins, Amour, ce que je dois dire, de façon que si jamais mes paroles frappent les oreilles de ma douce ennemie, elle ait de moi compassion.

Je dis : à l’époque où les âmes étaient si enflammées pour le véritable honneur, l’industrie de quelques hommes se répandit en divers pays, franchissant les monts et les mers, et, recherchant les choses honorables, en retira la plus belle fleur. Puisque Dieu, la Nature et l’Amour ont voulu placer complaisamment toutes les vertus dans vos beaux yeux qui me font vivre joyeux, il n’est pas besoin que je dépasse cette limite et que je change de pays. Je reviens toujours à eux comme à la source de tout mon salut, et quand j’en suis à désirer la mort, c’est à eux seuls que je demande aide et secours.

De même que le nocher fatigué est contraint, par la fureur des vents, à lever les yeux vers les deux lumières qui brillent sans cesse à notre pôle, ainsi, dans la tempête d’Amour que j’essuie, les yeux brillants de Laure sont mon guide et mon seul confort. Mais, hélas ! le plaisir que je prends çà et là à la dérobée, suivant qu’Amour m’indique, est bien plus grand que celui qui m’est gracieusement concédé. C’est de les avoir toujours pour règle, qui m’a fait le peu que je suis.