Page:Petrarque - Les Rimes de.djvu/96

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morte sur une pierre vivante, à la façon d’un homme qui pense, et pleure et écrit.

Un désir intense me pousse d’habitude à monter jusqu’au pic le plus élevé et le plus dégagé, où l’ombre d’aucune autre montagne ne puisse frapper. De là, je me mets à mesurer des yeux mes souffrances, et entre temps, versant des larmes, je condense sur mon cœur un douloureux nuage, alors que je regarde devant moi et que je pense à la distance qui me sépare du beau visage qui est toujours si près et si loin de moi. Puis, je médis tout bas : que fais-tu, hélas ! peut-être là-bas on soupire maintenant à cause de ton absence. Et dans cette pensée mon âme respire plus librement.

Chanson, par delà ces Alpes, là où le ciel est plus pur et plus joyeux, tu me reverras sur les bords d’un ruisseau d’eau courante, où l’on sent le frais parfum d’un petit laurier odoriférant. Là est mon cœur, et celle qui me le déroba ; c’est là seulement que tu pourras voir mon image.


SONNET LXXXV.

Forcé de s’éloigner de Laure, il pleure, soupire et se console avec son imagination.

Puisque le chemin m’est fermé pour arriver à obtenir merci, je me suis éloigné, dans mon désespoir, des yeux en qui — je ne sais par quelle destinée — j’avais fait reposer la récompense de ma fidélité.

Je repais mon cœur de soupirs, car il ne demande pas autre chose ; et né pour pleurer, je vis de larmes. Je ne m’en plains pas, car en cet état les larmes sont plus douces qu’on ne le croit.