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Page:Petrone - Satyricon, trad. de langle, 1923.djvu/154

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XLIV. OU L’ON FAIT UN PEU DE POLITIQUE

Ainsi dit Phileros, et aussitôt Ganymède : « Vous racontez des histoires qui ne riment à rien, et personne ne songe combien la famine déjà nous mord ! De toute la journée, je vous le jure, pas moyen de me procurer un morceau de pain. Et la cause ? Cette sécheresse qui n’en finit pas. Voilà un an qu’on meurt de faim. La peste soit des édiles qui s’entendent avec les boulangers : passe-moi la casse et je te passerai le séné ! C’est toujours le petit qui souffre pendant que ces gros requins font la fête à ses dépens.

« Ah ! si nous avions encore ces gars que j’ai trouvés ici en arrivant d’Asie ! C’est dans ce temps-là qu’il faisait bon vivre ! Si le blé se vendait moins cher en Sicile, ils vous retournaient, tous ces pantins de magistrats, qu’on aurait cru que Jupiter leur en voulait.

« J’étais enfant alors, mais je me rappellerai toujours Safinius. Il habitait près du vieil arc de triomphe. Ce n’était pas un homme, c’était un vif-argent. Partout où il passait, il mettait tout en feu. Mais correct, solide, ami de ses amis ; on aurait joué à la mourre avec lui dans le noir[1]. Et il fallait le voir dans la curie. Il vous maniait ses gens comme des balles ; il n’allait pas chercher de figures de rhétorique, mais courait droit au but. Et au forum ! Quand il plaidait, sa voix montait par degrés

  1. On joue encore à la mourre en Italie et en Hollande ; un des joueurs dit un nombre, les autres doivent lever le nombre de doigts demandé. Dire qu’on peut jouer à la mourre avec quelqu’un dans les ténèbres exprime donc la plus absolue confiance. L’expression est déjà dans Cicéron.