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Page:Petrone - Satyricon, trad. de langle, 1923.djvu/155

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comme une sonnerie de clairon[1]. Et jamais fatigué : il ne suait ni ne crachait ; je pense qu’il avait un remède pour cela[2]. Et puis si gentil : il vous rendait vos saluts, il vous appelait par votre nom ; on l’aurait pris pour un de nous. Aussi pendant qu’il était édile, les vivres étaient pour rien. Vous achetiez à deux un pain d’un sou et vous ne pouviez arriver à le finir ; maintenant j’en vois de moins gros que l’œil d’un bœuf. Hélas ! hélas ! tout va de mal en pis dans cette colonie. Tout y croît à rebours, tout comme la queue du veau qui va s’amincissant.

« Mais peut-il en être autrement ? Nous avons un édile qui ne vaut pas un clou ; pour un sou il vendrait notre peau. Aussi, chez lui, il ne se fait pas de bile ; il reçoit plus d’argent en un jour qu’un honnête homme n’en a pour tout bien. Je connais une affaire qui lui a valu mille deniers d’or.

« Si nous avions un peu de couilles, il ne s’amuserait pas tant. Mais voilà bien les gens d’aujourd’hui chez eux, des lions ; dès qu’il faut se montrer, des renards. Pour mon compte, j’ai déjà mangé mes quelques frusques, et si cette cherté persiste, il me faudra vendre ma bicoque. Que va-t-il arriver, en effet, si ni les dieux ni les hommes ne prennent en pitié cette colonie ?

« Quant à moi, sur tout ce qui m’est le plus cher, j’en suis à voir dans toutes ces misères la volonté des immortels[3].

  1. Pétrone se moque ici de l’éloquence populaire : ce qui frappe le peuple, c’est le bruit, l’énergie du geste.
  2. Ou peut-être : je lui trouvais la résistance des Asiatiques, car en Asie on exerçait les orateurs, les chanteurs, les acteurs à ne pas suer ni cracher pendant qu’ils étaient en scène. Les Asiatiques passaient à Rome pour des aligneurs infatigables de grandes phrases vides.
  3. Au moment où il lui met dans la bouche ces pensées édifiantes, Pétrone a soin de faire faire au pieux affranchi des fautes de latin grotesques, qu’il nous est impossible de rendre.