Aller au contenu

Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/134

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Un accident ? Non, le malheureux avait sans doute essayé de se tuer !… Oh ! certainement. Et mon imagination prit son vol ; je le vis mort, sanglant, se tordant avec des cris d’agonie. Et je sanglotai.

Cet événement n’était plus un doute pour moi. Je « voyais » — nous croyons toutes être des voyantes. — C’était fini, je l’avais contraint à se tuer, je l’avais tué. Ma conscience s’emporta en d’affreux remords. Elle m’accabla de ses ironiques colères. Elle se dressa, superbe et révoltée, écrasant mes vertus sous de hautains mépris. J’avais causé la mort d’un homme. Et pourquoi ? La cause était risible, vraiment, et si disproportionnée à l’effet !… Mon honneur était sauf, mais Paul ne vivait plus ! Me voilà bien fière et bien heureuse, maintenant ! La seule affection qui m’eut jamais troublé le cœur, je l’avais rejetée et immolée à mon orgueilleuse vertu. Je continuerais à marcher le front haut, mais Paul dormirait à jamais sous la terre. Le néant où je l’avais couché me parut le néant même de toutes les conventions sociales, morales, religieuses : tout s’effondrait dans une tombe. Cette mort me révélait enfin la vie !

Et, pleurant sur lui, je pleurai sur moi, sur mon inconcevable folie, sur l’aveuglement ou j’étais restée jusqu’alors de ce qui est la seule, l’immuable vérité, le sens unique et vrai de l’existence humaine.

Trop tard !… « viens tout de suite. » Je sursautai. Peut-être m’attendait-il pour exhaler son dernier souffle. Certes, j’irai ! Et je lui crierai :

— Pardon ! pardon ! Je t’aime !…

Du moins, emporterait-il dans son âme la consolation de ce cri désolé !…

Je crois que les peines imaginaires sont plus douloureuses que les réelles douleurs. Celles-ci sont cir-