Aller au contenu

Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/135

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

conscrites par la réalité même, les autres n’ont pas de bornes, évoluant dans le champ infini du rêve.

Je souffrais à mourir lorsque je quittai la maison pour monter dans le fiacre que Janie avait fait entrer dans la cour afin que personne ne put voir mon visage bouleversé, ruisselant de pleurs.

Le cahotement brisa quelque peu mes nerfs, les détendit ; je m’arrêtai de pleurer, et je songeai alors qu’il convenait de me montrer grave et digne devant le monde. Cela me parut héroïque et me décida à chercher une attitude. Nul ne verrait le déchirement de mon cœur. Car, à ce moment, la nuance indécise de mon attachement pour Paul se précisait ; je me découvrais une sourde et profonde passion, un de ces amours qui ne se révèlent bien que lorsqu’on les a perdus ou que l’on croit les perdre.

Je me jurai de garder éternellement le souvenir de celui que j’allais revoir, sans doute, pour la dernière fois, et je préparais d’avance ma mémoire à s’imprégner de cette vision suprême, effroyable peut-être, si le malheureux s’était mutilé.

En arrivant à l’hôtel de Bléry, je trouvai la porte entrebâillée et ma conviction s’accrut. A cause des allées et venues nécessitées par cet événement, la porte n’avait pas le temps de demeurer fermée. Dans le vestibule silencieux, aucun valet.

Mes jambes fléchirent ; je m’accrochai à la rampe, le souffle coupé, le front lourd de vertige, et je me dirigeai, automatiquement, vers la chambre de Louise. Il me semblait que c’était là ! J’écoutai : nul bruit. Frapper ? Ce silence de mort ne me disait-il pas que tout était fini, et que personne ne me répondrait ?

Je restai quelques secondes avant de pouvoir saisir le bouton de la porte et ma pesée lente n’arrivait pas