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Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/236

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Mme de Bléry à Paul Ruper :

— Mon cher Paul, je t’ai excusé de mon mieux auprès de Sylvère, mais la tâche était pénible et malaisée. Ta place, à cette heure cruelle, était près d’elle.

La malheureuse femme est à faire pitié. On dirait qu’elle a tout perdu en perdant son enfant ; elle se sent bien, désormais, seule sur la terre. Ton absence l’a achevée. Je crois qu’elle aurait mieux reçu nos consolations si tu avais été là. C’est presque une grâce du ciel que cette pauvre petite fille soit partie maintenant. Elle n’était pas viable, moralement. Mère Saint-Louis de Gonzague a fait une belle œuvre en la gardant jusqu’au bout. Lili est morte comme une possédée, hurlant, blasphémant, injuriant tout le monde autour d’elle, car elle s’est vu mourir et ce diabolique paquet de nerfs voulait boire la vie et s’y cramponnait. Elle l’aurait bue jusqu’à la boue.

Sylvère, sans bien comprendre tout cela, a deviné, à notre soulagement, une partie de la vérité. L’épouvante s’en est mêlée. Dans un autre milieu que ce couvent, parmi ces sœurs prosternées, ces enfants, vêtues de blanc, semant les lis autour de la petite morte, ces murmures de prières, ces envolées d’encens, ces sonneries argentines des clochettes de la chapelle, tout ce décor apaisant et doux, elle se fût, je crois, réveillée de sa passivité, de sa résignation habituelle, la malheureuse, enfin exaspérée par un tel acharnement du sort !

— Mais qu’ai-je fait ?… Qu’ai-je fait ? criait-elle. Que me veut donc la vie ? Pourquoi moi ? pourquoi pour moi toutes ces tortures ?… Toutes ! toutes ! Pas une ne m’est épargnée !… mais je n’en puis plus, mais c’est trop !… Il y a des bornes aux forces humaines !… Dieu m’oublie !… Me voici seule au monde.