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Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/262

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je vieillisse ainsi, tout à fait, que toute ma vie soit à jamais perdue ! Que je meure, moi, sans avoir eu ma part de bonheur, de joie en ce monde ! Rien que des larmes toujours, et la solitude, éternellement !… Ah ! mais !… à la fin. Dieu me tente !… Je suis lasse et la révolte bouillonne au fond de tout mon être… Dites ! mais dites-moi donc enfin pourquoi je suis ainsi sacrifiée !… Y a-t-il une raison à ces choses ? Qu’ai-je fait ?

— Vous avez eu de l’orgueil, ma chère Sylvère !

— Moi !

— Oui : l’orgueil de votre pureté. Souvenez-vous de ce que vous disait Guy d’Harssay, le doux et épicurien philosophe, qui, parce que son encre fleure l’ambre et qu’il trousse galamment ses périodes, paraît toujours un peu frivole, alors que lui seul, peut-être, a résumé la vraie morale de la vertu et de l’amour. Il vous disait : « la sagesse c’est d’être heureux. Dieu a fait l’amour, comme il a fait la mort ; et, comme l’on doit mourir, l’on doit aimer ! Vous vous faites de l’honneur une idée fausse : soyez une honnête femme, tout le reste n’est rien. Si vous changiez de sexe en gardant votre cerveau et votre cœur, vous auriez des maîtresses. Et votre conscience ne vous le reprocherait pas. Soyez logique : la morale s’élabore dans le cerveau, l’honnêteté git dans le cœur. Pourquoi accorder tant d’importance au reste, qui en a si peu, si peu ?… Le sexe doit accomplir une fonction normale, comme l’estomac. Vous privez-vous de manger ? Non ; mais si vous êtes délicate, vous choisissez vos mets. Mangez donc des feuilles de roses et buvez du soleil, si cela vous plaît, mais nourrissez-vous ! »

Il vous disait cela, Sylvère, vous le rappelez-vous, un soir, dans le monde. Et vous leviez dédaigneuse-